Dans respirer

 

Dans respirer m’a dit Goethe il y a deux grâces

l’air qu’on s’incorpore et celui qu’on lâche

la peine que j’ai moi c’est à rendre l’âme

l’âme que l’air m’a prêtée j’oublie d’expirer

pour que j’y consente il faut au moins

le calme d’un sous-bois la nage

ou l’obstination d’une course lente

 

Un ventre vous crache à l’air libre on vous gifle

cri oblige on fera qu’il accepte

le petit salaud d’avaler puis de relâcher

attrape et souviens-toi que tu es souffle

savez-vous comment les cogneurs vous nomment

l’oublieux bébé qui tarde à l’ouvrir

étonné disent-ils il arrive étonné

 

Là ils parlent de moi qui m’étonne encore

malgré mon long passé dans la respiration

un rien m’éberlue un rien m’asphyxie

peut-être je me souviens de ce premier cri

à moins qu’ils aient cogné un peu trop fort

sur moi qui fais le bègue à la moindre alerte

moi qui fais le muet dès qu’on me regarde

 

Ah le plaisir brutal de bâiller sous les arbres

et celui de vider le sac à air tout un dimanche

à fond perdu dans la chambre d’ennui

mais c’est vrai que pour aller au bout des souffles

il faut une musique au large de soi

qui vous insuffle et lente vous soulève

l’ange qu’elle offre est un chanteur

 

Je suis né poumon comme tout le monde

la grâce attendue tardait à venir

jusqu’au jour où pour mieux m’entendre

j’ai marché mot à mot sur des pages au hasard

voilà que d’un seul coup ça respirait tranquille

j’avais trouvé je continue j’inspire

j’expire calmement sous le vent des paroles

Bibliographical info

 

Ludovic Janvier « Dans respirer » recueilli dans La mer à boire, © Éditions Gallimard, 1987.

 

Tous les droits d’auteur de ce texte sont réservés. Sauf autorisation, toute utilisation de celui-ci autre que la consultation individuelle et privée est interdite. www.gallimard.fr

Start here: