Sur les lagunes

Tra la, tra la, la la, la laire !

Qui ne connaît pas ce motif ?

À nos mamans il a su plaire,

Tendre et gai, moqueur et plaintif !

L’air du Carnaval de Venise,

Sur les canaux jadis chanté

Et qu’un soupir de folle brise

Dans le ballet a transporté !

Il me semble, quand on le joue,

Voir glisser dans son bleu sillon

Une gondole avec sa proue

Faite en manche de violon.

Sur une gamme chromatique,

Le sein de perles ruisselant,

La Vénus de l’Adriatique

Sort de l’eau son corps rose et blanc.

Les dômes, sur l’azur des ondes,

Suivant la phrase au pur contour,

S’enflent comme des gorges rondes

Que soulève un soupir d’amour.

L’esquif aborde et me dépose

Jetant son amarre au pilier,

Devant une façade rose,

Sur le marbre d’un escalier.

Avec ses palais, ses gondoles,

Ses mascarades sur la mer,

Ses doux chagrins, ses gaîtés folles,

Tout Venise vit dans cet air.

Une frêle corde qui vibre

Refait sur un pizzicato,

Comme autrefois, joyeuse et libre

La ville de Canaletto !

Bibliographical info

Gautier, Théophile, « Sur les lagunes », Émaux et camées, Paris, Garnier, 1929 [1884].

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